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En communion – édition de novembre

Rendez-vous en pleine pandémie

Les mal-aimés

Dans les dernières années, j’ai eu à patienter à plusieurs reprises dans la salle d’attente d’un hôpital pour rencontrer un spécialiste. Je n’étais évidemment pas seule dans cette grande salle d’attente, en plein cœur de Montréal. Chaque fois, il y avait une grande diversité de personnes, particulièrement des plus pauvres.

En effet, sur le même étage, une équipe de médecins, d’intervenants sociaux et d’infirmières se spécialisait en soins médicaux et psychosociaux pour les toxicomanes.

Je m’y suis butée à mes limites avec des personnes en situation d’itinérance qui ne s’étaient pas lavées depuis un certain temps. Devant ces corps malmenés, prenant un peu de repos sur les bancs, j’ai fui.

Il y a eu la fois où un homme a fait une overdose dans la salle de bains de la salle d’attente. Branle-bas de combat de toute une équipe médicale qui tentait de savoir ce qu’il avait consommé pour pouvoir le réanimer. Il a survécu. Je l’ai revu plus tard, méconnaissable dans sa sobriété. J’ai eu peur qu’il ne meure ; je me suis réjouie de le voir plein d’espoir.

Un autre jour, un jeune homme réclamait sa dose d’un puissant antidouleur. Seul hic : il avait déjà pris sa dose du jour, la veille. Devant la secrétaire impuissante, il s’est mis à se tordre et à pleurer, et à supplier qu’on lui donne une dose en plus. « Je l’ai pris pour me réchauffer hier ». J’en suis venue à supplier mentalement la secrétaire d’intervenir auprès du médecin, qu’on lui donne sa dose.

Le plus récent de mes souvenirs est celui d’un autre jeune homme qui s’est adressé au secrétariat pour recevoir de l’aide pour se sevrer. Il n’avait accès à aucune ressource parce qu’il avait perdu sa carte d’assurance-maladie. Il y avait bien un endroit qui aurait pu l’aider, mais il devait téléphoner lui-même. Il n’avait pas de téléphone. Il s’est mis à pleurer, lui aussi, abondamment. Il était au plus bas. Je m’insurgeais silencieusement : mais qu’on l’aide à faire ce coup de fil ! C’est trop de difficultés pour lui.

Ai-je vu le Christ dans ces hommes et ces femmes ? Pas toujours. Et pourtant !

Les pauvres de toute condition et de toute latitude nous évangélisent, car ils nous permettent de redécouvrir de manière toujours nouvelle les traits les plus authentiques du visage du Père. “Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux”.

(Message du pape François lors de la Journée mondiale des pauvres, 2021)

Comment faisait-elle, l’équipe qui les soignait, pour les regarder au-delà de leur misère, pour continuer de les accompagner peu importe le nombre de rechutes ? Comment faisait-elle pour dire “non” quand il le fallait, pour faire respecter les ententes prises, mais qui restait assez souple pour rester humaine ?

En ce qui me concerne, j’espère être meilleure, moins limitée. Avec celui qui sent mauvais, celui qui overdose, celui qui est en manque, celui qui est dénué de tout. Et les autres.

Nous devons être profondément convaincus de la dignité de chaque être, peu importe sa condition. Nous devons surtout agir en conséquence de cette dignité.

Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”

(Matthieu, 25 : 40)

Claude-Hélène Desrosiers, responsable des communications sociales

Votre histoire n’a pas d’âge

En tant que membre du comité protection et prévention des abus sexuels et intervenante auprès de victimes d’agressions sexuelles, permettez-moi de partager avec vous un de mes souvenirs. Il s’agit de ma première rencontre avec une femme âgée qui venait chercher de l’aide au CALACS : appelons-la Muriel pour les besoins de la cause. « Ça faisait si longtemps que je gardais le silence; ça m’est arrivé si jeune… Je n’ai jamais osé en parler, qu’aurait-on pensé de moi? …  Mais j’ai maintenant 78 ans et j’ai toujours autant besoin d’en parler. Il était temps que je vous trouve! »

Muriel ne se doutait pas qu’autant de femmes, 1 sur 3, est victime d’une agression à caractère sexuel dans sa vie. Une agression à caractère sexuel est tout geste à connotation sexuelle, avec ou sans contact physique, commis par une personne sans le consentement de la victime ou, dans certains cas, par manipulation émotionnelle ou par chantage.

Muriel a reçu des services d’aide individuelle et, par la suite, elle a demandé à participer à des groupes de soutien – non obligatoires. Elle était sensible à ce que ses amies lui confiaient et les référaient avec délicatesse au CALACS. Elle a été une militante active jusqu’à la fin de sa vie.

Elle était parmi celles qui osent parler et déranger pour obtenir ce dont elles ont besoin. Cependant, la majorité des personnes âgées de notre époque n’osent surtout pas déranger, surtout quand vient le temps de dénoncer de la violence sexuelle qu’on a soi-même vécue.

C’est pourquoi nous avons mis sur pied un projet de sensibilisation qui vise deux objectifs précis : 1) faire mieux connaître nos services aux femmes âgées et 2) favoriser un climat de confiance en outillant l’entourage des femmes aînées à détecter les signes d’une agression sexuelle et à en faciliter le dévoilement.

  1. Faire mieux connaître nos services

Nous désirons rejoindre les femmes âgées là où elles se trouvent (résidences pour personnes âgées autonomes, membres de la FADOQ, associations de retraité.e.s, clubs sportifs, etc.) pour parler avec elles et les écouter parler de leurs besoins en la matière.

  • Favoriser un climat de confiance en formant l’entourage
  • Sensibiliser le personnel à la problématique des agressions sexuelles : responsables d’activités dans les RPA, animateurs et animatrices des centres communautaires, toute personne travaillant auprès des personnes âgées.
  • Outiller l’entourage à soutenir les victimes d’agressions sexuelles en démontrant des attitudes aidantes, respectueuses et égalitaires favorisant le dévoilement et le mieux-être des victimes d’abus sexuels.

Pourquoi vous parler de ce sujet concernant presqu’exclusivement les femmes?  Parce que beaucoup d’enfants d’autrefois – filles et garçons – ont vécu une ou plusieurs violences sexuelles et se sont terrés dans le silence.  Ils auraient risqué, autrement, d’être encore plus brisés – la mentalité de l’époque censurant tout dévoilement de ces si terribles maux.  Mais la douleur demeure au fond de soi, pour le reste de ses jours, d’une manière ou d’une autre. Le drame que vous avez subi, fille ou garçon, vous habite encore et vous ne savez pas quoi en faire. Je vous en prie, osez en parler à quelqu’un de confiance, qui ne vous jugera pas.  Si de surcroît, cet abus de confiance majeur a été commis par quelqu’un de la communauté ecclésiale, prenez le temps de vous informer auprès du Comité de prévention et de protection contre les abus sexuels. Le silence n’a jamais aidé une personne victime d’abus sexuel. Et votre histoire n’a pas d’âge…

Jocelyne Desjardins

Intervenante

Membre du Comité de prévention et de protection contre les abus sexuels